Poésies

Alors qu’imaginer des romans ou des nouvelles m’a toujours paru naturel, l’écriture poétique m’a longtemps semblé au-delà de mes compétences.

Il a fallu que je sois amené à décrire les difficultés d’une petite fille cherchant à écrire un haïku dans une nouvelle en 2015 (« Les Chats de Fukushima ») pour que je dépasse enfin mes blocages.

Depuis, j’ai publié de nombreux poèmes souvent inspirés de formes asiatiques : haïku, haïbun, tanka, senryu, pantuns, syair…

Grand Prix du Pantoun francophone pour un triptyque de poèmes sur les routes de la soie.

Pantouns

Le pantoun (ou pantun) est un quatrain en rime AB-AB, dont la forme est originaire du monde malais. Les deux premiers vers doivent évoquer une image, et les deux suivants l’expliciter. Les pantouns peuvent éventuellement être enchaînés, pour constituer des ensembles plus longs.

Ayant vécu plusieurs années dans cette région, et appris l’indonésien-malais à l’École des Langues orientales, écrire des pantouns s’imposait presque. J’en ai publié de nombreux dans des recueils et revues, dont la revue Pantouns et genres brefs, qui m’a même consacré un numéro spécial. A cette occasion, j’ai travaillé pour les illustrations avec Vincent Biwer, un jeune artiste de grand talent, qui a également réalisé la couverture de mon roman Tous les fantômes du soleil, aux éditions Rivière Blanche.

Quelques autres pantouns dans des anthologies ou revues

Par le passé, deux routes de la soie :
via les déserts, ou par cabotage.
J’ai tout essayé pour que tu me voies :
humilité et cabotinage.
*
L’Occident craint les routes de la soie,
qui à la Chine seraient profitables.
Le commerce s’avère un cheval de Troie,
lorsqu’il est vraiment inéquitable.
*
Les routes de la soie d’aujourd’hui
calquent les parcours des anciens marchands.
Les nouveautés qui te laissent ébahi,
sont bien souvent des clones d’objets d’antan.
*
Triptyque de pantouns sur le thème des routes de la soie,
lauréat du Grand Prix du Pantoun francophone 2024

D’accords en arpèges, montent et descendent
les doux chants de la harpe celtique.
Les hauts et les bas de la vie rendent
nécessaire le baume de la musique.

Les hirondelles s’amoncellent sur les fils,
pour échapper aux hivers trop âpres.
Les doigts glissent sur les cordes de profil,
s’enfuit le stress, au son de la harpe.

La cigale frotte ses cymbales,
elle ne chante pas, elle stridule !
Courbée, comme se dresse un crotale,
la harpe, quelle drôle de bidule !
3 pantouns liées, lauréat du 2ème Prix du concours Festiv’harpes 2024

Les jeunes spadassins (3 pantouns liés), dans la revue Lichen, 2021

Haïkus

chapeau de paille / entre deux océans / Panama
Haïku Canada Review, 2025

derrière la vitre / une abeille butine / fleurs en soie
Haïku Canada Review, 2023

Soleil brûlant / ne rien désirer d’autre / que l’eau claire
lauréat du concours haïku pour le climat/CLER 2021

baisers / 24 fois par seconde/ vie plastifiée
Haiku Canada Review (thème : cinéma), 2021

Terre humide / j’oublie la timidité / des champignons
Revue L’Ours dansant, 2020

Au bout du monde / un pot de géranium / à ma fenêtre
Haiku Canada Review (thème : Les lieux de voyage), 2019

Bourgeons printaniers / ratatinés par le gel / bien vaine main verte
Ouvrage : « Un haiku pour le climat », éditions Liroli, 2018

Givre des frimas /sous la lune, nul pétale / de cerisier
Sème la lune / de fugitifs flocons / faux chrysanthèmes
2 haïkus dans la revue Ploc !, 2017

Sieste paisible, / ombre des fraisiers en fleurs, / somnolent les limaces.
A la mi-journée / muette, la carpe dit aimer / paresser sous l’eau.
Fraîche lumière / par le rideau de bambou / oubliant l’été
3 haïkus dans la revue Ploc !, 2016

religieusement / la mante attend ses époux / à l’ombre d’un charme
3ème Prix du concours Haïkouest (revuue en un éclair), 2015

Migrant déraciné / sous la mousson, l’hévéa / rêve-t-il du Brésil ?
Migrantes sœurs d’exil / les hirondelles rêvent d’ici, / en partant ailleurs
2 haïkus dans la revue Gong, 2015

Jeune forêt bruissante / sans voisin à dix mille miles / l’homme parle aux oiseaux
Haiku Canada Review (thème : Les voisins), 2015

Mince oiseau en fleur, / ni insecte, ni papillon, / juste un colibri
Ciel d’orage sans pluie / bourrasques agitées sans vent / nuages d’étourneaux
2 haïkus dans la revue Ploc !, 2015

Lac couvert de brume, / j’entrevois l’étrange abîme / de l’éternité
Haiku Canada Review, 2014

De la neige poudreuse, / à l’infini, perce une feuille, / verte obstination
Écume des aubes froides / les nappes de brouillard s’étalent / fantômes d’océans
Tissant son cocon, / en araignée d’intérieur / replet ver à soie
Dans l’infini blanc / trouée grise à l’horizon / brume de terre ? Nuage ?
4 haïkus dans la revue Ploc! 2014

Haïbuns

Pavane dans le Jardin du Peuple
Vienne, été 2015.

Près du Danube,
que seule la musique voit bleu,
ilots du passé.

Venant de Michaeler-platz, par la chaleur terrassé, troquer l’ocre des façades et le granit des pavés pour l’émeraude des pelouses.

Ciel de canicule,
sans gris nuages pommelés
cyprès sans ombres.

Volksgarten – Jardin du Peuple – de noires grilles enserré. Même longtemps après les sanglantes foudres des révolutions, le monde des humbles cède volontiers sa place aux pâles fantômes des rois.

Doux jardins viennois,
modelés à la française,
verts buissons guindés.

À la recherche d’un banc qui rende invisible aux heures du jour torride. Il faut disputer l’illusoire fraîcheur aux oiseaux qui ont déserté vasques et bassins. Insolents corbeaux hérissant leur dos cendré et pigeons hâbleurs, fiers du miroitement irisé de leur col.

De craie et d’ivoire
les fontaines distillent le temps
de vieux bronze et d’eau.

Dans la touffeur d’un air gorgé d’immobilité, stagnent les voluptueuses senteurs traitresses et trop capiteuses d’inflorescences domestiquées de feu, d’or et de sang.

Chromatiquement,
dix mille roses trompent leur nom
de cent mille couleurs.

Revue : Le Capital des mots, 2020

Balade au centre bouddhiste Urgyen Samye Chöling

Campagne de Dordogne. Sous un ciel gris tombant jusqu’au sol, se révèlent les bâtiments d’une retraite bouddhiste close. Aucun moine ni de passant, en dépit d’allées soignées et des rideaux en dentelle aux fenêtres. Entre les arbres, frissonnant doucement, des drapeaux agitent des mantras tibétains aux coloris de l’espoir : verts, jaunes, blancs, rouges, bleus…

Le vent monotone
chante l’aube du dernier automne ;
moulins à prières.

Derrière une haie de thuyas et de bambous, se dissimule une mare en forme de larme, ceinturée d’une bordure moussue.

Entre pierres et feuilles mortes,
patiemment, les poissons rouges
attendent les moustiques.

Saisi par la fraîcheur, s’asseoir un instant sur un banc vermoulu, près d’un cairn de galets et de calcaire sculpté par l’eau du fil du temps. Non loin, le pépiement d’oiseaux répond à des gloussements indistincts.

À l’ombre d’un stupa,
indifférent aux grenouilles,
médite un étang.

Revue L’écho de l’étroit chemin, n°16, 2015.

Reliques du Bouddha

À Dhagpo Kagyu Ling, janvier 2015.
Le raccourci vers Dhagpo Kagyu Ling traverse des champs couverts de bruine
et de rosée. Par instants, au hasard de déchirures dans le brouillard, surgissent
landes vallonnées et forêts.

Paysage fantôme,
brume de nuit sur la colline,
d’où les rêves s’échappent.

Pour atteindre le temple, le chemin s’engage dans une parcelle boisée, avant
de bifurquer le long d’une haie entre deux prairies. La boue colle aux semelles,
alourdissant les pas, tandis qu’une végétation parasite accroche aux ramures et aux
grillages des barbes vert-de-gris.

Journée grise d’hiver,
mousse et lichens donnent aux arbres
des airs de vieillards.

Dans le parc, bambous, thuyas et conifères forment de petits bosquets entre
lesquels humbles pèlerins et vénérables lamas cheminent en rêvassant.

Branche de pin coudée,
tu sembles faire un bras d’honneur
aux rafales de vent.

Au temple orné de mille bouddhas, l’esprit emporté par les senteurs d’encens,
les fidèles se pressent.

Entre gongs et cloches,
récitations lancinantes ;
reflet du Tibet.

À l’occasion de la présentation de reliques du Bouddha, minuscules
fragments d’os enchâssés dans un stupa de cristal, par-delà une travée où
s’alignent des rangs de coussins rouge-sang au cœur d’or, les offrandes abondent :
riz safrané, pierres colorées, fleurs, pièces de monnaie, bonbons…
Trilles d’un canari
entre les doigts d’un bouddha ;
pétale de lotus.

Revue L’écho de l’étroit chemin, n°15, 2015

Tankas

bois noirci
cercueils suspendus
aux cordes sans voix
pinces à linge
vermoulues à l’automne
Revue Cirrus, n°12, 2019

nuit opaque
brumes et brouillards
cheveux de nuées
scolopendres de fumée
souriant aux égarés
Revue Cirrus, n°11, 2019

l’araignée tisse
désinvolte au plafond
l’ombre du futur
images mélangées
mémoire Alzheimer
Revue Cirrus, n°10, 2018

impériale
en son manteau de velours
elle déambule
se rêvant en monarque
l’altière chenille
Revue Cirrus, n°9, 2018

épuisant leurs forces
en obscurs néants
au cœur des trous noirs
les poussières d’étoiles
gisent étouffées
Revue Cirrus, n°7, 2017

indifférents
au givre comme aux étoiles
loin dans la nuit
d’aveugles soleils rêvent
d’étranges êtres de chair
Revue Cirrus, n°6, 2016

tritons, salamandres
soleil des bords de mares
lézards androgynes
nos cerveaux reptiliens
trop enfouis pour saisir
Revue Cirrus, n°5, 2016

sous l’herbe rousse
les ruines d’une gare
le vent
via les tuiles brisées
imite le son du sifflet
Revue Cirrus, n°4, 2015

ce cocon ?
papillon ou araignée
beauté ou frayeur
qui peut reconnaitre
le tisserand du destin
Revue Cirrus, n°3, 2015

Théière refroidie,
sur la rude natte en bambou ;
jasmin éventé ;
dans le silence de la chambre
les regards ne parlent plus.
Revue du tanka francophone, 2015

Syair

Syair du Printemps arabe (21 quatrains)

Révolution de gueux qui nous étonne,
en un pied de nez au triste Huntington,
tel un orage, le printemps arabe tonne,
balayant les litanies monotones.

Le monde arabe aurait dû enfermer
dans l’intolérance toutes ses sociétés,
abandonnant esprit et liberté,
pour dans un Islam rigide se figer.

Mais, dans un ultime geste désespéré,
Mohamed Bonazzi s’est immolé,
allumant par ses flammes un grand brasier
qui, moult dictatures a su ravager.

Fukuyama avait-il donc raison ?
La « fin de l’histoire » est-elle l’horizon ?
Ou les peuples ont-ils d’autres aspirations
que d’augmenter leurs seules consommations ?

Certes, l’Occident est largement envié,
mais fait-il preuve de solidarité ?
Ou bien se contente-t-il de profiter
de graves troubles arrivant à point nommé ?

Que dire du mode de vie américain ?
Sinon qu’il est absolument certain
qu’en le diffusant à tout un chacun
la planète connaîtrait un noir destin…

Alors, que dire de cette révolution ?
Qu’elle rejette dictature et corruption,
envers lesquels par sourde compromission
le Nord n’avait guère émis d’objections.

Les pauvres du Sud seraient-ils plus intègres
que les riches qui s’accommodent de la pègre,
les traitant comme l’étaient naguère les « nègres »,
damnés d’une Terre aux enfants toujours maigres ?

De fait, bien des nouvelles technologies
aidèrent à débarrasser ces pays
d’une insupportable chape de tyrannie
s’étendant du Yémen à la Libye.

Mais ce sont plus les altermondialistes
que les diplomates qui tracèrent cette piste.
Il faut donc avouer pour être réaliste
que croire au Nord-sauveur serait autiste.

Que dire aussi de la démocratie
que les grands de ce monde avaient promis ?
Qu’en Égypte un président soit démis,
par les médias du Nord, est bien admis.

Les Frères musulmans ne sont peut-être pas
les meilleurs garants de l’ensemble des droits
auquel le peuple égyptien aspira,
mais quid de l’armée qui les renversa ?

Cela ne fait-il pas écho aussi
à d’anciens événements d’Algérie,
lorsque le FIS a été interdit
et le pouvoir par les soldats ravi ?

Des dérives de l’islamisme pas question
de promouvoir ici l’adoration.
Les peuples ont fait par la contestation
la preuve qu’ils ont plus d’imagination.

Reste que, mettre sa confiance en l’Occident
devient dorénavant moins évident,
après avoir vu que le changement
n’avait guère aidé les manifestants.

Attendre de l’aide extérieure est naïf,
comme espérer que larmes et cris plaintifs
vont émouvoir un monde aussi rétif,
car ses buts ne s’avèrent guère positifs.

Sous couvert du mot : « développement »,
la plupart des gens deviennent dépendants
des fausses promesses d’abondance et d’argent
dont très peu bénéficient au comptant.

Ce n’est guère politiquement correct
d’avancer que les puissants sont infects.
Pourtant, même si cette idée nous affecte,
tout autre raisonnement serait suspect.

En réalité, le monde vit une guerre,
sans vouloir être moins inégalitaire.
Il s’accommode bien du travail précaire
comme des pollutions des terres, mers et airs.

Quelle est donc la morale de cette histoire ?
Que plus le temps avance, moins on peut croire
que les forts peuvent renoncer au pouvoir…
Mais faut-il pour autant perdre tout espoir ?

D’autres modes de pensée seraient nécessaires
pour amorcer vraiment une nouvelle ère,
où l’humain ne serait plus subsidiaire
et qui soit réellement solidaire.

Revue Cœur de plume, 2019.

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